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Location de fonds de commerce : revenu mobilier ou revenu professionnel ?

04/01/21

1. – Contexte

Mois après mois, année après année, un indépendant personne physique se constitue une clientèle, construit et embellit son lieu de travail, achète et renouvelle son matériel. Il se fait une réputation.

Un jour, il décide de constituer une société et de mettre en location cette universalité.

Il n’exerce plus son activité professionnelle en tant que personne physique, mais c’est la société qu’il a constitué – et dont il est éventuellement administrateur – qui l’exerce.

Notre dirigeant pense alors faire une bonne affaire fiscale. Dans sa déclaration, il postule donc un taux de 30% (qui était de 15% il y a encore quelques années) en lieu et place du taux progressif pouvant atteindre la tranche de 50% d’imposition – hors taxes additionnelles communales.

Il ne perçoit dès lors plus un revenu professionnel soumis à cotisations sociales, mais un simple revenu mobilier dépourvu de charges sociales.

Jusqu’au jour où l’Administration décide d’ouvrir son dossier …

 

2. – Position de l’Administration

L’Administration dispose de plusieurs armes pour remettre en cause cette opération :

-        La simulation ;

-        Les revenus de biens mobiliers ou immobiliers à caractère professionnel (article 37 CIR92) ;

-        Le principe d’attraction (article 32 CIR92) ;

-        L’abus fiscal (article 344 CIR92) ;

En invoquant la simulation, l’Administration considère que « les parties ont décidé, sous l’apparence d’un contrat de location de fonds de commerce (convention apparente), de convertir une partie de la rémunération du requérant en revenus mobiliers (convention secrète), pour lesquels l’imposition est évidemment bien moindre (taux distinct de 15%/30% en lieu et place d’un taux progressif) ».

Elle s’appuie alors sur un arrêt de la Cour de cassation du 19 septembre 2013, appliqué par un arrêt de la Cour d’Appel de Gand du 31 mai 2016 pour affirmer :

-        (i) que la location de clientèle n’est pas possible parce que le bailleur serait dans l'impossibilité d'assurer la passible jouissance du bien au preneur, ce qui serait contraire aux articles 1709 et 1719 du Code Civil,

-        (ii) et que « la clientèle n’est certes qu’un élément de la convention de location du fonds de commerce conclue entre la société et le requérant mais elle en est un élément essentiel, de sorte que, sans cette clientèle, le fonds de commerce ne se résume plus qu’à un ensemble disparate ».

En invoquant l’article 37 CIR92, l’Administration tente d’affirmer que les revenus mobiliers de la personne physique sont, en fait, des revenus professionnels car ils sont affectés à l’exercice de l’activité professionnelle du bénéficiaire.

En invoquant l’article 32 CIR92, l’Administration considère que, selon le principe d’attraction, tout ce que reçoit le dirigeant d’entreprise de la société dans laquelle il travaille est une rémunération.

Enfin, l’Administration pourrait tenter de faire valoir l’application de l’article 344 CIR92 lorsque, par exemple, existe une option d’achat en fin de contrat de location de fonds de commerce, à charge pour le fisc de démontrer un abus fiscal.

 

3. – Notre position : le libre choix de la voie la moins imposée doit être respecté !

Dans la plupart des cas d’espèce, il n’y a pas de simulation.

Les parties respectent les conséquences des actes juridiques qu’elles posent : convertir une partie de la rémunération  en revenus mobiliers n’est pas une convention secrète en soi, l’Etat belge n’expliquant généralement pas sous quelle forme juridique autre que celle découlant de la convention contestée aurait été réalisée la location de fonds de commerce.

Le droit à la recherche de la voie la moins imposée édicté par le sacro-saint arrêt Brepols de la Cour de cassation doit être respecté ! (TPI Namur, 10 mars 2016 et doctrine citée dans le jugement).

La Cour d’Appel de Bruxelles a déjà constaté l’absence de simulation lorsque le bailleur n'a plus perçu aucune commission en tant que courtier et que dès lors il avait bien mis fin à cette activité (Bruxelles, 7 octobre 2015).

Le fait que les revenus mobiliers soient fixes ne peut prouver une simulation : il s’agit d’une application erronée de la théorie de la réalité économique, condamnée par la Cour de cassation. Le fait que les revenus mobiliers soient variables n’a également aucune incidence (TPI Namur, 10 mars 2016).

En outre, la location de fonds de commerce n’est pas une location de clientèle : il s’agit d’une universalité, d’un ensemble composé notamment d’un droit à une clientèle d’une affaire commerciale (et non d’une clientèle). La clientèle n’est ni un bien susceptible d’appropriation ni un bien susceptible de faire l’objet d’une quelconque garantie du bailleur à l’égard de la société preneuse du fait de la liberté dont jouissent les personnes composant cette clientèle (TPI Arlon, 15 juin 2016).

La Cour d’appel d’Anvers ainsi que la Cour d’appel de Liège ont déjà effectué cette distinction (Anvers, 7 octobre 2014 et Liège, 22 février 2012).

Enfin, le fait que le bailleur serait dans l'impossibilité d'assurer la passible jouissance du bien au preneur en contrariété avec les articles 1709 et 1719 du Code Civil est – à notre sens – erroné, en tout cas lorsque le bailleur en question a arrêté ses activités professionnelles et ne preste plus que comme dirigeant d’entreprise au sein de la société locataire. Le bailleur doit simplement s'abstenir de tout fait personnel qui pourrait troubler cette jouissance.

L’invocation de l’article 37 CIR92 est, selon nous, difficilement convaincante lorsque le fonds de commerce n’est plus affecté à l’activité professionnelle de l’indépendant personne physique, qui a en conséquence cessé d’amortir les éléments le composant, mais bien à celui de sa société qui en a repris l’exploitation.

L’article 32 CIR92 n’est pas d’une plus grande aide pour le fisc. Le Tribunal de première instance de Namur affirme à cet égard que l’Administration tente en vain de franchir la barrière des catégories de revenus énoncées à l’article 6 CIR92 : « l’article 32 du CIR vise les rémunérations des dirigeants d’entreprise, lesquelles font partie de la catégorie des revenus professionnels qui sont définis comme ceux qui proviennent directement ou indirectement, d’activités de toute nature (article 23 du CIR). Les revenus de la location d’un bien mobilier ont pour source ledit bien et non une activité, ils ne sont par conséquent pas concernés par le principe d’attraction consacré à l’article 32 » (TPI Namur, 10 mars 2016).

 Enfin, l’Administration pourrait être tentée d’invoquer l’article 344 CIR92, à charge pour elle de prouver l’existence d’un abus fiscal. La Cour d’appel de Gand a déjà rejeté l’application de cet article lors de la location de fonds de commerce avec option d’achat, l’Administration ne démontrant de toute façon pas que les choix qui auraient été faits, même s’ils avaient procuré un avantage fiscal, sont contraires aux objectifs du Code des impôts sur les revenus 1992 (CA Gand, 6 novembre 2018).

 

4. – Conclusion

Les développements ci-dessus l’ont montré : l’issue d’un litige reste toujours incertaine, l’opinion des juridictions penchant tantôt en faveur de l’Administration, tantôt en faveur du contribuable.

Le jeu en vaut toutefois la chandelle lorsque votre avis de rectification affiche des sommes exorbitantes.

Ne tardez donc pas à prendre contact avec votre avocat fiscaliste.

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Dernière mise à jour: 04/01/21