Les relations entre actionnaires : une priorité lors de la constitution d’une société
01/02/19Réfléchir sur la manière dont les actionnaires vont fonctionner ensemble nous paraît être une étape importante lors de la constitution d’une société.
Par facilité, nous utiliserons indistinctement le terme « actionnaires » ou « associés » tant pour la société anonyme que pour la société privée à responsabilité limitée.
En effet, c’est au moment où les actionnaires décident de s’associer dans une aventure commune qu’il est nécessaire pour eux de s’interroger sur la manière dont ils vont « cohabiter » tout au long de la vie de la société.
Les questions à se poser sont, en effet, nombreuses et il vaut mieux s’assurer, avant même la constitution de la société, que les actionnaires partagent une vision commune sur les réponses qui peuvent y être apportées.
Notre exposé sera essentiellement axé sur les PME dans la mesure où ce sont dans ces sociétés que l’aspect intuitu personae sera le plus présent.
1. Quant à la forme de société à préconiser
Tout d’abord, se posera la question de savoir quelle forme de société préconiser.
Actuellement, la réforme du Code des sociétés n’étant pas encore passée, notre droit nous offre une panoplie de choix. Les formes les plus classiquement utilisées restent toutefois la société anonyme (SA) et la société privée à responsabilité limitée (SPRL). La société coopérative à responsabilité limitée (SCRL) peut également être préférée pour la souplesse qu’elle offre, notamment quant à la flexibilité de son capital et de son actionnariat. A noter cependant que si la réforme du Code des sociétés passe, la forme de la société coopérative sera exclusivement réservée aux sociétés fondées sur un modèle coopératif. En contrepartie, la réforme du Code des sociétés offre davantage de souplesse à la SPRL (qui deviendra la SRL) en supprimant notamment toute notion de capital et en permettant, comme dans la société coopérative, la possibilité pour les actionnaires de démissionner. Nous ne rentrerons toutefois pas dans le détail de cette réforme.
Sans entrer dans des considérations économiques liées au montant du capital, les actionnaires souhaitant d’avantage une société à caractère fermé auront tendance à préférer naturellement la forme de la SPRL plutôt que la SA.
En effet, même si les parties n’ont rien prévu, que ce soit dans le cadre de leurs statuts ou d’une convention d’actionnaires, l’article 249 du Code des sociétés prévoit une règle impérative (c’est-à-dire à laquelle on ne peut déroger) selon laquelle tout nouvel associé (que ce soit à la suite d’une cession entre vifs ou d’une transmission pour cause de mort) doit être agréé par la moitié au moins des associés, possédant les trois quarts au moins du capital, déduction faite des droits dont la cession est proposée, sauf aux personnes suivantes :
- un associé ;
- le conjoint ;
- les ascendants ou descendants en ligne directe ;
- les personnes spécialement agréées dans les statuts.
Il n’est pas possible, dans la SPRL, d’assouplir cette règle. Par contre, il est possible de la rendre plus strict, en prévoyant notamment que le droit d’agrément sera également d’application même si la cession ou la transmission de parts intervient en faveur d’une des catégories de personnes énumérées ci-avant. En effet, il n’est pas toujours souhaitable qu’en cas de décès, par exemple, les associés survivants se voient imposer le conjoint ou les enfants de leur associé décédé.
La société anonyme, quant à elle, est vouée, par nature, à être une société « ouverte ». C’est donc dans cette optique que sont prévues dans le Code des sociétés des limitations aux mécanismes pouvant être mis en place par les parties pour restreindre la libre cessibilité des parts (cfr. infra). Nous verrons toutefois que ces limitations ne sont pas insurmontables et que parfois, la SA peut être préférée parce qu’elle offre plus de souplesse notamment quant à la possibilité de créer des catégories différentes d’actions. En dehors des parts sans droit de vote, le principe, en SPRL, est, en effet, celui de l’égalité des droits attribués aux parts dans la répartition des bénéfices et des produits de la liquidation (article 239 du Code des sociétés). Il ne pourrait dès lors être question de créer des catégories de parts conférant des droits différents quant au partage des bénéfices. Il faudra préférer, dans ce cas, s’orienter vers la forme d’une SA ou d’une SCRL.
Conscients de ce manque de souplesse dans la SPRL, les auteurs de la réforme du Code des sociétés en ont fait une priorité. Ainsi, avec la disparition du capital, la corrélation obligatoire qui existe actuellement entre les apports et les droits attachés aux parts disparaitra également, conférant énormément de latitude aux associés pour créer différentes catégories de parts (on parle de « classes » d’actions). Ceci permettra notamment de ne pas rémunérer les apports en actions de manière proportionnelle aux montants investis, de conférer des droits différents à des actions émises pour un même apport ou les mêmes droits à des actions émises pour un apport différent. Il sera donc possible de créer différentes classes d’actions: actions sans droit de vote, actions à droit de vote multiple, actions avec droit de vote sous certaines conditions, actions avec dividendes privilégiés, etc. La règle actuelle selon laquelle chaque action (i) donne droit à une part égale du bénéfice/solde de liquidation et (ii) dispose d’un seul droit de vote deviendra simplement supplétive (c’est-à-dire avec la possibilité pour les parties d’y déroger).
2. Quant au choix entre les statuts et une convention d’actionnaires
Une autre question qui se posera également sera de savoir s’il est préférable d’insérer les différentes clauses que l’on souhaite mettre en place dans les statuts ou s’il vaut mieux établir une convention d’actionnaires extra-statutaire.
L’intérêt d’une convention d’actionnaires peut résider dans le fait que, contrairement aux statuts qui sont publiés et déposés au greffe (et donc accessibles à tous), une convention d’actionnaires offre davantage de discrétion. Les parties pourront d’ailleurs prévoir entre elles un engagement de confidentialité leur empêchant de dévoiler à des tiers le contenu de leur convention.
Outre cette volonté de discrétion qui peut justifier le choix de la convention d’actionnaires, on notera également que certaines clauses n’ont pas vocation à se retrouver dans les statuts parce qu’elles concernent plus l’organisation pratique des relations entre les associés. On pense notamment aux clauses liées à la répartition des tâches entre les associés qui souhaitent être actifs, aux objectifs qu’ils souhaitent atteindre, etc.
L’intérêt des statuts réside, quant à lui, dans le fait qu’ils lient nécessairement la société ainsi que tous les actionnaires actuels et futurs. Cette opposabilité peut se révéler importante, notamment en présence de clauses restreignant la cessibilité des parts. La cession de parts intervenue en violation de pareille clause ne pourra, en effet, être remise en cause et être annulée que si le tiers acquéreur est de mauvaise foi, c’est-à-dire qu’il avait connaissance de ladite clause (théorie de la tierce complicité). A cet égard, il sera évidemment plus difficile de démontrer que le tiers connaissait la clause si celle-ci figure dans une convention d’actionnaires plutôt que dans les statuts. A défaut de démontrer la mauvaise foi du tiers acquéreur, l’actionnaire lésé risque de ne pouvoir réclamer que des dommages et intérêts à l’actionnaire cédant qui aurait violé la clause.
Il faudra toutefois être attentif au fait que contrairement à une convention d’actionnaires qui, si rien n’est prévu, ne pourra être modifiée que de l’accord de toutes les parties signataires, les statuts pourront toujours, à défaut de stipulation contraire, être modifiés selon les conditions de majorité prévues par le Code des sociétés. Un actionnaire minoritaire qui dispose d’une participation inférieure à 25% devra donc être attentif.
3. Quelles sont les clauses qui peuvent être prévues dans le cadre d’une convention d’actionnaires (ou dans les statuts) ?
Les clauses qui peuvent être insérées dans une convention d’actionnaires (ou dans les statuts) sont nombreuses. Il n’est d’ailleurs pas possible d’en faire une liste exhaustive. Elles concernent en général :
(i) Les clauses liées au fonctionnement de la société, notamment :
o Concernant la composition de l’organe de gestion :
Dans la mesure où la décision de nommer et de révoquer les membres de l’organe de gestion relève d’une décision de l’assemblée générale, il s’agira pour les actionnaires de prendre l’engagement de voter à l’assemblée dans le sens défini dans la convention.
Il faut être attentif au fait que tant l’article 281 du Code des sociétés pour les SPRL que l’article 551 du Code des sociétés pour les SA prévoient que les conventions de vote doivent toujours être limitées dans le temps et être justifiées par l’intérêt social à tout moment.
On sera également attentif au principe de la révocation ad nutum des administrateurs dans les SA, principe d’ordre public. Selon ce principe, l’assemblée générale doit pouvoir à tout moment, sans motif, ni indemnité, mettre fin aux mandats des administrateurs. A noter que si la réforme du Code des sociétés passe, le principe de révocation ad nutum deviendra supplétif et permettra donc d’y déroger valablement.
A cet égard, on notera que, dans la SPRL, le principe du gérant statutaire peut être une piste intéressante puisque celui-ci ne peut, en vertu de l’article 256 du Code des sociétés, être révoqué que pour motifs graves ou de l’accord unanime des associés. Cette solution n’existe pas dans la SA sauf si le projet de réforme passe puisqu’un mécanisme similaire d’administrateur unique, disposant d’un droit de veto pour sa propre révocation (sauf si elle est justifiée par des justes motifs) pourra être mis en place.
o Concernant le fonctionnement des organes de la société
Afin de rassurer un actionnaire minoritaire, il peut être convenu entre les actionnaires que certaines décisions jugées importantes devront être prises à une majorité renforcée, voire à l’unanimité.
Un tel mécanisme peut également être prévu au sein de l’organe de gestion.
o Concernant la répartition des compétences et la rémunération
Une telle répartition permet aux parties de s’organiser entre elles dans la sphère interne. Cette répartition ne sera pas opposable aux tiers, même si elle est publiée. Elle présentera toutefois un intérêt d’un point de vue du fonctionnement de la société et notamment pour épingler un éventuel manquement dans le chef d’un associé si celui-ci reste en défaut d’accomplir ce qui était prévu initialement.
o L’affectation du résultat de l’entreprise
Les parties peuvent, en effet, avoir intérêt à ce que la convention établisse la politique qu’elles souhaitent mener à cet égard, notamment si leur volonté est de développer certains projets.
(ii) Les clauses liées à la cessibilité des parts
Les mécanismes pouvant être mis en place sont nombreux. Les plus classiques sont les suivantes :
o La clause d’inaliénabilité
Cette clause vise à empêcher les actionnaires qui y souscrivent de céder leurs actions pendant un certain temps. Ces clauses peuvent notamment présenter un intérêt pour rassurer les actionnaires sur leur engagement respectif dans la société.
Il faudra toutefois être attentif aux restrictions prévues par le Code des sociétés pour les sociétés anonymes.
L’article 510 du Code des sociétés prévoit, en effet, pour la SA, que les clauses d’inaliénabilité doivent être limitées dans le temps et être justifiées par l'intérêt social à tout moment. S’il peut être aisé de justifier l’intérêt social au moment où cette clause est prévue, il n’en est pas toujours ainsi quelques années plus tard. La réforme du Code des sociétés prévoit d’ailleurs de supprimer cette exigence selon laquelle l’intérêt social doit être justifiée à tout moment.
o La clause d’agrément
La clause d’agrément permet de mettre en place un mécanisme par lequel l’entrée d’un nouvel actionnaire que ce soit à la suite d’une cession entre vifs ou d’une transmission pour cause de mort doit être approuvée par les actionnaires en place ou éventuellement par l’organe désigné dans la clause.
Nous avons vu que dans la SPRL, l’agrément de tout nouvel associé est d’office prévu par le Code des sociétés, sous réserve de certaines catégories de personnes. Il s’agit d’une disposition impérative, c’est-à-dire à laquelle les parties ne peuvent déroger. Les parties peuvent toutefois décider de la renforcer dans les statuts. Nous nous en référons à ce qui a été dit ci-avant.
Un tel mécanisme n’est pas d’office prévu par le Code des sociétés pour les SA. Les parties peuvent toutefois le mettre en place statutairement ou conventionnellement.
L’article 510 du Code des sociétés prévoit cependant que l'application de ces clauses ne peut aboutir, dans la SA, à ce que l'incessibilité des parts qui en découle soit prolongée plus de six mois à dater de la demande d'agrément ou de l'invitation à exercer le droit de préemption.
Compte tenu de cette restriction, il est utile de prévoir une clause de préemption pour éviter que le l’actionnaire cédant retrouve toute liberté de céder ses parts au tiers offrant à l’expiration du délai de 6 mois.
o La clause de préemption
Cette clause permet à ses bénéficiaires de bénéficier du droit d’acquérir en priorité les parts d’un actionnaire qui souhaiterait céder celles-ci et ce, pour un prix déterminé (ou à tout le moins déterminable) fixé dans les statuts ou la convention d’actionnaires.
o Autres clauses
D’autres clauses peuvent également être prévues. Il s’agit, par exemple, des clauses suivantes :
- o Les clauses de sortie commune : ces clauses permettent aux coassociés du cédant de céder concomitamment leurs parts au cessionnaire des parts de l’associé cédant et ce, en principe, au même prix et selon les mêmes conditions ;
- o Les clauses d’obligation de sortie : ces clauses permettent à un actionnaire cédant de contraindre ses coassociés à céder leurs parts au cessionnaire en même temps que ses propres parts;
- o Les options sur actions : il s’agit de promesses de vente ou d’achat, soit à terme, soit soumises à la réalisation de conditions, que les actionnaires peuvent se consentir mutuellement ;
- o Etc.
(iii) Les clauses réglant les situations de blocage ou de mésintelligence entre associés
Il est souvent utile d’anticiper les situations de blocage ou de mésintelligence pouvant se produire entre les associés, de manière à tenter de les résoudre amiablement, sans devoir passer par la voie judiciaire.
Plusieurs méthodes existent.
Parmi celles-ci, on retrouve notamment la clause dite de la « roulette russe » qui peut présenter plusieurs variantes. Cette clause peut, par exemple, prévoir la possibilité pour l’une des parties d’offrir ses actions à l’autre à un certain prix avec l’obligation pour l’autre partie, si elle refuse d’acheter les actions qui lui sont offertes, de céder les siennes au même prix. L’inverse peut également être prévu.
Un autre mécanisme consiste à prévoir qu’en cas de situation de blocage ou de mésintelligence, elles s’engagent à se soumettre à l’avis d’un tiers pour régler leur différend. La clause devra déterminer le nom de ce tiers ou la manière dont celui-ci sera désigné. Dans le cas où une partie viendrait à refuser de se soumettre à l’avis de ce tiers, un mécanisme d’option peut être mis en œuvre afin de sortir du blocage en permettant au(x) coassocié(s) de l’associé récalcitrant de racheter les parts de ce dernier pour un prix déterminé ou déterminable.
De manière plus générale, il peut être utile de prévoir une option d’achat portant sur les parts de l’associé qui méconnaitrait la convention d’actionnaires. Ce mécanisme permettra d’exclure l’associé qui ne respecte pas les principes fixés par les parties. A cet égard, il peut être intéressant d’insérer dans la convention d’actionnaires tout ce qui paraît important aux yeux des associés, comme les objectifs à atteindre, la stratégie, etc., sachant que les parties pourront, à tout moment, de commun accord entre elles, modifier la convention pour l’adapter éventuellement aux évolutions de la société.
4. Conclusion
Nous sommes persuadés que le dialogue est essentiel entre les associés. Il est donc important de partir sur de bonnes bases en réfléchissant dès la constitution de la société à la manière de travailler ensemble.