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Le droit de l’insolvabilité en période de coronavirus

15/05/20

Le droit de l’insolvabilité en période de coronavirus

Mise à jour 15-05-2020


Innombrables sont les entreprises menacées par les mesures prises par le gouvernement pour lutter contre l’épidémie de coronavirus. Les impacts de ces décisions tragiquement nécessaires peuvent être directs (fermetures obligatoires, annulations d’évènements, …) ou indirects (baisses des commandes, impossibilité de refaire un stock, …).


Parmi ces entreprises, celles dont l’activité était déjà fragilisée avant la crise sanitaire sont particulièrement en danger.


Nous avons déjà eu l’occasion de présenter en détail les mesures organisationnelles à mettre en place pour limiter les risques. Il est également nécessaire d’aborder la matière de l’insolvabilité des entreprises. Celle-ci est consacrée par le livre XX du Code de droit économique, mais des mesures temporaires vont l’adapter à la crise que nous vivons actuellement.


Plusieurs questions se posent plus particulièrement. Qu’en est-il de l’ouverture de nouvelles faillites ? Du recours à la procédure de réorganisation judiciaire (PRJ) ? Quel sort réserver aux procédures en cours ? Puis-je prendre des mesures à l’égard d’une entreprise qui est ma débitrice ?


C’est ce que nous essayerons de clarifier dans cette brève.

Le droit de l’insolvabilité… :


1) Introduction d’une requête en Procédure de Réorganisation Judiciaire (PRJ)


Si une requête en ouverture de PRJ est déclarée fondée, le Tribunal va accorder un sursis à l’entreprise en difficulté, lequel sera de maximum six mois. Ce sursis est une période pendant laquelle l’entreprise est à l’abri des mesures d’exécution de ses créanciers et doit mettre tout en oeuvre pour atteindre le but de sa réorganisation.


La PRJ peut avoir pour objet de négocier un accord avec au moins deux créanciers (accord amiable), la négociation d’un accord collectif avec l’ensemble des créanciers ou le transfert de l’activité ou des actifs.


Concrètement, l’entreprise qui recours à une PRJ par accord collectif s’engage à respecter un plan de remboursement qui doit être voté par ses créanciers et homologué par le Tribunal. La durée du sursis doit permettre à l’entreprise de négocier ce plan de remboursement avec ses créanciers tout en étant à l’abri d’éventuelles mesures d’exécution forcée (envoi de l’huissier, saisie, etc.).


A l’une ou l’autre exceptions près, ce plan de remboursement pourra s’étaler sur une durée de 5 ans, délai maximal de remboursement offert par l’arsenal législatif belge. De plus, si le plan est scrupuleusement respecté, les montants abattus dans le cadre du plan de réorganisation ne devront jamais être remboursés aux créanciers. Cette procédure peut donc permettre, outre l’étalement du remboursement sur une très longue période, de faire des économies.


Une PRJ ne vaut que pour les dettes existantes au jour du jugement d’ouverture de la PRJ. Il est donc opportun d’attendre avant d’ouvrir une PRJ pour être certain de la reprise de toutes les dettes dans cette procédure d’insolvabilité.


2) Aveu de faillite et effacement des dettes


Les deux conditions suivantes doivent être remplies pour qu’une entreprise soit déclarée en faillite :


- Être en cessation de paiement de manière persistante : ne plus pouvoir faire face à ses dettes (il ne doit pas s’agir de court terme) ;
- Ébranlement du crédit : la perte de confiance des créanciers (ils prennent des mesures d’exécution : saisies, jugement, envoi huissier, etc.).


Toute entreprise à l’obligation de faire aveu de faillite dans le mois de la cessation de ses paiements.


Pour une entreprise personne physique (uniquement), il est possible lors de l’aveu de faillite ou au maximum 3 mois après le jugement déclaratif de faillite de déposer une requête en effacement de dettes.


L'effacement de dettes est une procédure qui permet à une personne physique d'être libérée envers ses créanciers du solde de ses dettes, sans préjudice des sûretés réelles données par le failli ou par un tiers. En d’autres termes, une fois ses biens vendus, le failli personne physique bénéficiant de l’effacement sera libéré du solde de ses dettes existant au jour de la faillite.


3) Dissolution volontaire de la société


La dissolution volontaire d’une société peut également être une option pour certaines entreprises.


Opter pour une liquidation plutôt qu’une faillite peut permettre une meilleure valorisation des actifs appartenant à la société. Les réalisations d’actif en cas de liquidation sont censées être plus lucratives qu’en cas de faillite.


Il existe par ailleurs une plus grande simplicité procédurale dans le cadre de la liquidation. La liquidation entraînera également des mesures de publicité plus discrètes que la faillite, évitant de donner une mauvaise image aux fournisseurs et autres cocontractants, et permettant d’envisager une nouvelle collaboration dans le futur.

Il faut encore souligner que le Tribunaux sont plus favorables à une faillite en cas de liquidation déficitaire.


… en période de coronavirus :


Un arrêté royal n° 15 prévoyant un gel temporaire des procédures de faillite et PRJ a été publié ce 24 avril 2020.


Les mesures prises dérogent pour les besoins de la continuité de certaines entreprises au principe de paiement des dettes. Il s’agit d’introduire une mesure de soutien et d’accalmie dans une période où presque toutes les entreprises sont à la fois débitrices et créancières.


Les mesures, outre un soutien au crédit par le biais de la suspension temporaire de l’application de certaines règles spécifiques, consistent en un sursis de paiements et une suspension de l’obligation de faire aveu de faillite.


1) Sursis de paiement


La mesure phare de cet arrêté est l’introduction d’un sursis allant du 24 avril au 17 mai 2020. Cette période pourra être prolongée.


Ce sursis est toutefois conditionné au respect de deux conditions cumulatives :


• la continuité de l’entreprise est menacée par les mesures prises par le gouvernement en raison de la crise sanitaire du coronavirus ;
• l’entreprise n’était pas déjà en cessation de paiement au 18 mars 2020 (le législateur estimant que les entreprises qui étaient déjà en cessation de paiement au 18 mars 2020 ont des problèmes financiers historiques et ne peuvent bénéficier du présent sursis).


Ce sursis concerne le recouvrement forcé de dettes.


Cela signifie donc qu’un créancier ne peut entreprendre aucune mesure d’exécution sur les biens de l’entreprise ou aucune saisie (même conservatoire) pendant la durée de ce sursis.


Une exception est faite pour les saisies conservatoires sur biens immobiliers, car cette forme de saisie n'a pas d'incidence sur la continuité de l'entreprise. Les saisies conservatoires sur les navires et les bateaux sont également exclues.


A noter aussi qu’une entreprise qui est en phase d’exécution d’un plan de réorganisation par accord collectif pourra suspendre les échéances prévues par ce plan pendant la période de sursis jusqu’au 17 mai également.


Le sursis prévu par cet arrêté royal peut être levé si l’entreprise ne respecte pas les conditions, à l’intermédiaire du Président du Tribunal de l’entreprise.

Enfin, des dispositions sont prises pour assurer la continuité des contrats en cours, en supprimant la possibilité de résolution unilatérale ou judiciaire en cas de non-paiement d'une dette due et exigible pendant le sursis. Ce régime n’est pas applicable aux contrats de travail.


Il est encore une fois important de rappeler que ce régime n’est pas destiné à servir d'alibi ou d'incitation à ne plus payer les dettes exigibles. Il s’agit d’une protection temporaire pour les entreprises qui ne sont plus en mesure de payer leurs dettes, en raison des mesures prises par le gouvernement pour lutter contre la crise sanitaire actuelle.


2) Suspension de l’obligation d’aveu de faillite


L’arrêté royal introduit une possibilité de suspendre l’obligation de faire aveu de faillite en cas de cessation persistante des paiements pour les dirigeants, étant entendu que ceux qui le souhaitent peuvent toujours le faire volontairement.


Il faut préciser qu’une citation en faillite à l'initiative du Ministère public ou d'un administrateur provisoire reste possible.


Les entreprises qui étaient déjà en cessation de paiement avant le 18 mars 2020 sont elles aussi exclues de ce régime.


Conclusion :


Les mesures prises sont exceptionnelles et devraient permettre de sauvegarder la continuité de nombreuses entreprises.


Sa limite reste sa délimitation dans le temps, le sursis n’étant à ce jour qu’accordé jusqu’au 17 mai prochain. Cela représentera environ 3 semaines depuis l’entrée en vigueur de cet arrêté royal.


Cet arrêté traduit cependant la prise de conscience des autorités quant à la situation des entreprises et la nécessité de réponses rapides pour adapter temporairement le droit de l’insolvabilité à l’inédite menace qui pèse sur de nombreux entrepreneurs.

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Dernière mise à jour: 15/05/20