La problématique des ATN sur immeubles – le fisc peut il refuser de vous rembourser le trop d’impôt perçu ?
28/10/201. – Différence de traitement dans le calcul de l’avantage
Nombreux sont les dirigeants d’entreprise qui ont bénéficié et bénéficient encore aujourd’hui de la mise à disposition gratuite d’un logement/immeuble par leur société (ci-après « ATN immeuble »).
Cette mise à disposition, mode alternatif à la rémunération en espèce, est considérée comme un « avantage de toute nature » imposable au taux progressif à l’impôt des personnes physiques.
Sur base de l’article 18 §3, 2° AR/CIR,
- Un ATN immeuble octroyé par une personne morale se calculait comme suit :
- Revenu cadastral indexé x 3,8 x 5/3.
- Un ATN immeuble octroyé par une personne physique se calculait comme suit :
- Revenu cadastral indexé x 1 x 5/3.
2. – Caractère anticonstitutionnel & position de l’Administration
Dans un article daté du 22 décembre 2018, Me Gillot précisait que tant la jurisprudence que l’Administration (circulaire du 15 mai 2018) ont reconnu le caractère anticonstitutionnel de cette distinction, le multiplicateur de 1 devant être appliqué.
L’Administration indique toutefois dans sa circulaire de 2018 que ledit multiplicateur ne s’applique que pour l’avenir ainsi que pour les réclamations introduites dans les 6 mois suivant l’envoi de l’avertissement-extrait de rôle.
Le multiplicateur ne s’appliquerait pas pour les demandes de dégrèvement d’office qui peuvent être introduites dans les 5 ans à partir du premier janvier de l’année au cours de laquelle l’impôt a été établi, si et uniquement si une surtaxe résulte d’une erreur matérielle, d’un double emploi, ou d’un document / fait nouveau probant.
Il s’agit une fois de plus de concilier le droit, la justice et les impératifs économiques de l’Etat.
La position de l’Administration fiscale est simple : selon l’article 376 §2 CIR92, ne constituent pas des faits / documents nouveaux probants les jugements et arrêts des Cours et Tribunaux déclarant inconstitutionnel l’article 18 §3, 2° AR/CIR rendant de ce fait la demande de dégrèvement d’office irrecevable.
3. – Notre point de vue : une demande de dégrèvement d’office est possible
a. Comme l’indiquait Me Gillot, cette conclusion ne peut être acceptée. En effet, un arrêt de la Cour constitutionnelle déclarant inconstitutionnelle une loi constitue bien un fait nouveau permettant une demande de dégrèvement d’office, la Cour constitutionnelle l'ayant explicitement indiqué dans sa jurisprudence passée.
Pourquoi en serait-il autrement lorsqu’il s’agit d’un arrêt de la Cour d’appel ou du Tribunal de première instance jugeant du caractère constitutionnel d’un arrêté royal ?
Ceux-ci ne visent en effet pas la modification d’une opinion jurisprudentielle, mais la qualité ou l’essence d’une norme tout comme les arrêts de la Cour constitutionnelle.
C’est d’ailleurs en ce sens qu’a conclu le Tribunal de première instance de Gand dans son jugement du 31 janvier 2019 et que peut se comprendre la réponse du Ministre des Finances à une question parlementaire lorsqu’il confirme que le changement de jurisprudence visé à l’article 376 §2 CIR92 « consiste dans l’interprétation et l’application, par les instances administratives ou judiciaires, de dispositions légales dont la validité n’est pas contestée » (question n° 807, 17 octobre 2001).
b. Par ailleurs, l’existence même d’une circulaire administrative admettant l’inconstitutionnalité d’une règle de droit est, à notre sens, un fait nouveau.
Le 31 juillet 2020, le Tribunal de première instance de Bruxelles a d’ailleurs reconnu expressément le caractère de fait nouveau à cette circulaire ATN logement.
Dans le cadre d’autres litiges fiscaux, il a aussi déjà été jugé qu’une nouvelle circulaire de l’Administration peut constituer un élément nouveau ouvrant le droit à une demande de dégrèvement d’office, et ce peu importe qu’il y soit mentionné que tel n’est pas le cas (Civ. Hasselt, 10 octobre 2013, Fiscologue, 2013, n°1399, p.11).
4. – Ce que rétorque l’Administration & Critiques
a. L’Administration répond systématiquement que les arrêts de la Cour constitutionnelle ont un effet « erga omnes », ce qui n’est pas le cas des jugements et arrêts rendus par les Cours et Tribunaux. Dès lors, ces derniers seraient d’office des changements de jurisprudence.
Il y a toutefois lieu de rappeler que la Cour constitutionnelle n’est pas compétente pour juger de la constitutionnalité d’un arrêté royal, en l’occurrence de l’article 18 §3, 2° AR/CIR.
Il s’agit d’une compétence d’abord du Conseil d’Etat, ensuite des Cours et Tribunaux.
b. En ce qui concerne le fait de savoir si une circulaire administrative constitue un fait nouveau, l’Administration cite de la jurisprudence qui lui est favorable, tel que le jugement du Tribunal de première instance de Liège du 30 mars 2020 refusant obstinément de reconnaitre le caractère de fait nouveau à la circulaire dont question.
La jurisprudence n’est, en effet, pas unanime sur le sujet.
5. – Etat actuel de la situation : questions préjudicielles posées à la Cour constitutionnelle
De nombreux litiges sont actuellement pendants devant les juridictions du pays et attendent la réponse de la Cour constitutionnelle à plusieurs questions préjudicielles posées par celles-ci.
Est-il discriminatoire de considérer un arrêt de la Cour constitutionnelle jugeant de la constitutionnalité d’une loi comme un « fait nouveau » alors que telle ne serait pas le cas des jugements et arrêts des Cours et Tribunaux jugeant de la constitutionnalité d’un arrêté royal – a fortiori lorsque tant l’Administration que le Roi ont reconnu l’inconstitutionnalité de la norme en cause ?
6. – Modification législative pour les ATN immeuble octroyés à partir du 1er janvier 2019
Le législateur a depuis modifié l’arrêté royal en question : les ATN sur immeubles octroyés à partir du 1er janvier 2019 se voient appliquer un multiplicateur de 2, que l’avantage soit octroyé par une personne physique ou une personne morale.
Il est encore possible d’introduire une demande de dégrèvement d’office pour les ATN octroyés antérieurement et ayant subi un multiplicateur de 3,8 : un avantage octroyé en 2014, déclaré lors de l’exercice d’imposition 2015, et enrôlé en 2016 pourra encore faire l’objet d’un tel recours jusqu’au 31 décembre 2020.
Les avantages enrôlés postérieurement peuvent également faire l’objet d’une telle demande. La date de l’enrôlement figure sur votre avertissement-extrait de rôle.
Ne tardez donc pas à prendre contact avec votre avocat fiscaliste.