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TAXFLASH - LN24 - Davos et les milliardaires qui veulent être plus taxés

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Faut-il introduire l’impôt sur la fortune (l’ISF) dans notre système fiscal ?

C’est là une question d’actualité, et pas uniquement en raison des élections qui approchent.

Très récemment encore, une lettre signée par 260 millionnaires et milliardaires a été adressée au Président du Forum économique mondial de Davos, avec pour titre : « Fier de payer plus ». Les mots de cette lettre sont choisis ; je cite : « Notre demande est simple : nous vous demandons de nous taxer, nous, les plus riches de la société ».

Ce n’est pas la première initiative du genre. D’autres personnes fortunées ont déjà eu l’occasion dans le passé de solliciter un accroissement de l’impôt sur les grosses fortunes.

En Belgique, la question de l’impôt sur la fortune a récemment fait l’objet d’une étude intéressante, initiée par le Bureau fédéral du Plan, et menée par des experts universitaires ; elle avait pour objet la notion et la conséquence de l’instauration d’un impôt global sur le patrimoine en Belgique[1].

 

 

 

C’est quoi l’impôt sur la fortune ?

Tentons tout d’abord de définir simplement ce qu’est l’impôt sur la fortune.

Il s’agit d’une contribution annuelle calculée sur le patrimoine global net d’un contribuable belge (c’est-à-dire le patrimoine global du contribuable comprenant ses immeubles, sa fortune mobilière – cash, placements bancaires, voitures de collection, œuvres d’art, les actions de ses sociétés) duquel sont déduites les dettes ayant permis l’acquisition de ce patrimoine ; on y applique un taux pouvant être fixe ou variable (le taux pouvant augmenter en fonction de la valeur du patrimoine net).

 

Quels sont les objectifs poursuivis par ceux qui prônent pareil impôt ?

L’objectif de cet impôt est de freiner l’évolution croissante de l’écart de richesse entre les plus riches et les plus pauvres, évolution constatée par plusieurs scientifiques (et notamment l’économiste français Thomas Piketty).

Il devrait en outre permettre de créer de nouvelles recettes fiscales en vue de faire face aux défis de demain, comme la transition écologique.

 

Envisageable en Belgique ?

Techniquement, rien n’empêche que pareil impôt puisse être instauré en Belgique, voire même par une Région.

Mais de nombres difficultés sont régulièrement relevées par divers experts. Ainsi, l’étude sollicitée par le Bureau fédéral du plan relève un certain nombre de contraintes liées à l’instauration de pareil impôt en Belgique.

Relevons les principales d’entre elles, mais en reconnaissant d’ores et déjà que la plupart ne sont pas insurmontables.

Pas d’informations suffisantes dans le chef du fisc

Une première critique souvent relevée à l’encontre de l’impôt sur la fortune est relatif au fait que l’administration fiscale ne disposerait pas des informations que pour l’établir.

Il faut bien avouer que cette critique n’est pas très convaincante tant les informations dont dispose le fisc sont aujourd’hui importantes : le patrimoine immobilier (situé en Belgique en tout cas) est très facilement identifiable grâce au cadastre immobilier ; les comptes bancaires belges sont connus grâce à ce qu’on appelle le Point de contact central (PCC) abreuvés d’informations par les titulaires des comptes et les banques belges ; les comptes bancaires étrangers sont eux connus du fisc belge grâce à l’échange internationale d’informations mise en place au niveau européen ; les actionnaires des sociétés sont aujourd’hui connus grâce au registre UBO.

Récemment, l’ex-patron de l’administration fiscale, Hans D’Hondt, déclarait à un journaliste qui lui demandait si le cadastre des fortunes était pour demain, qu’il ne voyait pas ce que pareil cadastre pourrait apporter au regard des nombreuses informations déjà connues du fisc[2].

En outre, pour combler le manque d’informations du fisc, il pourrait être imposé au contribuable de déposer une déclaration fiscale annuelle reprenant le montant total de ses avoirs nets (comme on le fait pour bon nombre d’impôts).

 

Risque d’évasion fiscale

Il est souvent relevé, parmi les difficultés de l’ISF, que le contribuable risque de sous-estimer son patrimoine.

Ce risque n’est pas propre à l’ISF ; il concerne aussi les impôts existants. Ainsi, le risque de sous-estimation par les héritiers du patrimoine du défunt existe aussi pour l’application des droits de succession.

Un contrôle de la déclaration pourrait être organisé par le fisc qui, comme on l’a relevé ci-dessus, dispose de nombreuses informations devant lui permettre de vérifier les données communiquées par le contribuable.

 

Risque de double ou de triple imposition

Il est vrai qu’il existe déjà en Belgique plusieurs impôts sur le capital.

Citons ainsi la taxe sur les comptes-titres et le précompte mobilier sur les intérêts et les dividendes qui visent non pas l’ensemble du patrimoine mais une partie du patrimoine mobilier.

Citons aussi les droits de succession qui visent bien l’intégralité du patrimoine mais dans le cadre d’un « one shot », lors du décès du contribuable.

Cette critique est indéniable. Les défenseurs de l’ISF répondent que ces impôts visent tous les contribuables (y compris les moins fortunés, contrairement à l’ISF qui ne viserait que les plus nantis) et le fait qu’une bonne planification successorale permet l’évitement des droits de succession.

Le bon sens voudrait alors envisager de remplacer ces impôts par l’ISF (ce qui est d’ailleurs une suggestion des experts mandatés par le Bureau fédéral du plan).

On pense particulièrement aux droits de succession : s’il est si simple pour certains de s’y soustraire, et vu les taux exorbitants pratiqués en Belgique (même en ligne directe, les droits peuvent monter à 30% du patrimoine net ; c’est quand même une sacrée avance sur l’ISF que devraient payer certains héritiers toute leur vie !), il faudrait alors le supprimer pour le remplacer par l’impôt sur la fortune.

Il devrait en aller certainement de même pour la taxe sur les comptes-titres dont tout le monde s’accorde pour dire à quel point elle est inefficace.

 

Un impôt mesuré

Certains politiciens de gauche proposent de fixer l’ISF à 2 ou 3% (voire 5% dans certaines propositions formulées dans le passé) sur un patrimoine de minimum un million d’euros.

Soyons sérieux.

Vu la pression fiscale existant actuellement en Belgique, il ne pourrait s’agir que d’imposer les plus grosses fortunes à des taux qui devraient être bien plus mesurés (maximum 1% ?) sous peine de voire de grandes fortunes quitter le territoire belge.

 

Des exemptions inévitables à prévoir

Je suis en outre d’avis que certains éléments du patrimoine du contribuable ne pourraient s’y retrouver et devraient être exemptés d’ISF.

Je pense notamment au patrimoine du contribuable constitué par son travail.

Vu la pression fiscale et sociale existant en Belgique sur les revenus du travail, comment imaginer qu’un contribuable puisse encore être imposé sur la partie du patrimoine issu de ce travail ?

D’autres éléments seraient en outre problématiques : on pense notamment aux actions de sociétés. Ces actions ne génèrent pas forcément des revenus. Les actionnaires pourraient être contraints de distribuer des dividendes pour payer l’ISF, dividendes qui ne pourraient plus être investis dans l’entreprise. C’est ce que certaines grosses fortunes norvégiennes ont récemment indiqué pour justifier leur départ à l’étranger (et éluder ainsi l’ISF) lorsque le gouvernement norvégien a décidé de l’augmenter[3].

 

Un travail de longue haleine

Il est toujours plus facile de modifier un impôt existant que de s’attaquer à un nouvel impôt.

Il est certain que l’ISF n’est pas pour demain.

On comprend dès lors pourquoi certains experts prônent plutôt la taxation d’autres sources de revenus, comme les plus-values ou les loyers réels.

Mais on sait aussi qu’on ne pourra se passer d’une réflexion plus globale sur notre fiscalité.

Le consentement à plus d’impôt sur le capital que certaines grandes fortunes (on dit bien les grandes fortunes, ce que ne sont pas les personnes dont le patrimoine atteint 1 million d’euros, comme le laisse croire certains responsables politiques) semblent manifester et l’idée de plus en plus répandue de faire contribuer les plus nantis tendent à démontrer qu’on ne pourra se passer de cette réflexion.

Dans ce cadre, je suis d’avis que la réflexion sur l’opportunité d’introduire l’impôt sur la fortune sera inévitable.

 

*

 

A très bientôt pour une nouvelle capsule de Tax Flash.

 

[1] Thérèse Bastin, Benoît Bayenet, Ilan Tojerow et Magali Verdonck, « Etude relative à la taxation des grands patrimoines », juillet 2023, consultable sur le site du Bureau fédéral du plan.

[2] Dieter Dujardin, « Hands D’Hondt (SPF Finances) : “Qu’apporterait un cadastre des fortunes ? Nous savons déjà tant de choses », L’Echo, 30/12/2023.

[3] Théodore Laurent, « Ces multimillionnaires qui fuient la Norvège : ’’Ce n’est pas ce que je voulais, mais je n’ai pas le choix’’ », La Libre Belgique, 11/04/2023.

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